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En Afrique, un système de désinformation venu de Russie cible la France

Publié le 26 janvier 2024 à 12h59

Source : TF1 Info

Des "spécialistes militaires" russes seraient arrivés ce 24 janvier au Burkina Faso.
Une annonce faite au moment où Vladimir Poutine recevait le président tchadien, allié de Paris.
L'occasion de décrypter comment la propagande russe a gagné le Sahel en ciblant la France.

"100 spécialistes militaires russes sont arrivés dans la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou." Cette annonce, publiée ce mercredi 24 janvier par des canaux Telegram proches des renseignements russes, met fin à plusieurs mois de rumeurs selon lesquelles la Russie serait prête à se déployer dans le pays, après le départ total des troupes françaises. Dans le même temps,
Vladimir Poutine recevait en grande pompe son homologue tchadien, pourtant allié de la France. Des coopérations qui se multiplient, et qui sont le fruit d'une campagne de déstabilisation acharnée de la part des réseaux de propagande du Kremlin sur l'ensemble du Sahel. Décryptage d'une manipulation contre la France.

Le narratif russe gagne du terrain

On se souvient d'abord de ces nombreuses vidéos animées devenues virales sur le continent. Le graphisme, minimaliste mais efficace, suffisait largement à faire passer un message anti-français. À titre d'exemple, l'un de ces clips montrait les milices du groupe Wagner comme les sauveurs du Mali ou du Burkina Faso, face à une armée française avide, dépeinte comme un serpent. Une semaine plus tôt, une autre séquence caricaturait la France sous les traits d'un rat, chassée encore une fois par les "musiciens" de Prigojine. Une autre rumeur née cet été visait quant à elle l'armée française au Niger, accusée sans aucune preuve par des comptes pro-russes d'avoir enlevé des enfants. À chaque fois, la stratégie est claire : nourrir le sentiment anti-impérialiste à l'égard de la France. Pour le remplacer par un sentiment pro-russe ? C'est en tout cas la bascule que l'on observe sur les réseaux sociaux. Face à l'ancien colonisateur, la Russie apparait comme un partenaire égal. 

Cette vidéo diffusée sur les réseaux sociaux critique les troupes françaises en Afrique et salue la milice Wagner
Cette vidéo diffusée sur les réseaux sociaux critique les troupes françaises en Afrique et salue la milice Wagner - Twitter

Une affaire récente illustre parfaitement ce renversement. Le 14 janvier, des publications émergent sur Facebook au sujet du "blé gratuit russe", promis par Moscou à six pays du continent l'été dernier. En tout, 25.000 tonnes de céréales à destination de la République centrafricaine arrivent au Cameroun. Sauf que rien ne se déroule comme prévu. La livraison, qui ne devait transiter que par le Cameroun, y reste pour être traitée et vendue sur place. De quoi faire des remous chez les meuniers, qui dénoncent une concurrence déloyale et des fraudes fiscales. Si bien que la presse centrafricaine commence à décrire le "cadeau empoisonné" du Kremlin

Face à cet échec, et pour garder la face, la machine à désinformation du Kremlin va se mettre en marche. Et lancer une vaste campagne pour ne pas perdre l'opinion. Notamment alimentée par des bots informatiques, celle-ci va polluer les réseaux sociaux de messages pro-russes. À travers des publications sur Facebook et des boucles WhatsApp, deux réseaux privilégiés sur le continent, on salue le "partenariat entre pairs" noué avec la Russie, soulignant l'existence de liens "d'échange gagnant-gagnant pour toutes les parties". "Presque tous les États africains apprécient désormais la Russie pour son approche, sa position, sa manière de faire les choses", résume une publication. 

DÉCRYPTAGE - Comment la France a perdu pied au SahelSource : JT 20h WE

Un narratif alimenté également par des figures particulièrement influentes dans la région, à l'instar de Duduzile Zuma. Un nom familier, puisqu'il s'agit de l'une des filles de l'ancien président sud-africain, Jacob Zuma. Auprès de ces centaines de milliers d'abonnés à travers ses différents réseaux sociaux, la jeune femme est devenue l'un des rouages de la propagande russe au Sahel. Dès le début de la guerre en Ukraine, elle relaie le hashtag #IstandwithRussia et vante les qualités de Vladimir Poutine, "l'homme dont le monde a besoin". Si bien qu'elle a fini par devenir "l'un des moteurs et le point de départ d'une campagne de tweets qui ont été recopiés dans l'espace informationnel sud-africain", selon l'analyse du Centre pour la résilience de l'information (CIR), cité par Bloomberg. Les Russes peuvent aussi compter sur le réseau d'influenceurs panafricanistes, ce mouvement qui promeut l'indépendance totale du continent africain. À commencer par le plus radical d'entre eux, Kemi Seba, un militant suprémaciste noir qui s'est vanté par le passé d'avoir été reçu par Evgueni Prigojine, l'ancien patron de Wagner. 

Des visages devenus des relais de la propagande pro-russe et une armée de bot. Une méthode en tout point similaire à celle utilisée par Moscou en Europe. Mais bien plus efficace. Et pour cause, ce territoire est particulièrement sensible à la désinformation. Un phénomène lié à l'instabilité de cette région où se multiplient les conflits et à l'essor des réseaux sociaux, devenus aujourd'hui accessibles grâce au smartphone. "Avec l'essor du smartphone, qui s'est démocratisé, est arrivé le phénomène des groupes WhatsApp", nous explique ainsi Samba Dialimpa Badji. Chercheur à l'Université OsloMet spécialisé en désinformation, il souligne que désormais, les réseaux sociaux sont accessibles "jusqu'au fin fond des villages", là où la population n'a pas nécessairement le "niveau d'instruction et d'éducation numérique nécessaire" pour conserver un esprit critique. "Tout contenu qui tombe entre leur main est considéré comme un contenu authentique, et est partagé avec frénésie." Un phénomène face auquel la modération vantée par les plateformes apparaît comme largement insuffisante. 

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Felicia SIDERIS, Samira EL GADIR

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